Tuesday, November 13, 2012


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SANDY
Journal d’une catastrophe annoncée.

Six Novembre, 23 heure trente. Barrak Obama nous fait savoir dans un tweet, qu’il signe BO, qu’il pense gagner. Incontestablement, on respire mieux.
Encore groggy de batailles électorales sauvages et de déluges, l’Amérique a choisi. La vision fracturée de l’Amérique, présente  et à venir, demeure. Tempêtes à l’horizon.
Dimanche 11 novembre. La une de la section Business du New York Times trompette :  « MAD MAX ECONOMY, L’économie des désastres », sur fond de Planète Terre explosant de toutes part.
A l’ordre du jour : « Le Précipice Fiscal », droit devant.



L’autre ouragan, la Frankenstorm, c’était hier. Il y a des siècles. Un autre monde, un mauvais rêve. Si réel pourtant.  Le lendemain des élections,  tempête de neige, beaucoup trop tôt dans la saison, pour ces malheureux, là-bas, qui n’ont plus rien.
Déjà loin des phares médiatiques, de la mémoire à court terme (comme le profit du même nom),  beaucoup d’entre eux resteront dans une misère ou une autre, pour longtemps encore. Oui, ils sont loin. Loin de quoi au juste ?


C’était ici même, Hier encore. En voici l’histoire :

Samedi soir 4 Novembre, bien au chaud, à la lumière,  après un bon bain, curieux comme j’oublie tous ses malheurs, et surtout ceux des autres qui sont encore en plein dedans. Mais eux, c’est des petits, perdus dans la nuit  froide de nos consciences,  la nuit, là-bas, les immensités  de Long Island ou du New  Jersey. Perdus aussi dans la conscience des autorités:  « patience », on leur répète. Pas grand chose d’autre qu’ils peuvent faire, sinon réfléchir à la cause, mais ça c’est improbable. Le maire Bloomberg vient de déclarer que même en ville, les déplacés,  les malheureux des HLM (Projects) sur la East River, on n’avait nulle part où les mettre. Que les meilleurs gagnent !

Hier soir j’écoutais encore ma petite radio salvatrice à piles, comme tout au long des nuits froides et noires de cette semaine. Sur les ondes longues (AM)- la radio des white trash, les petits blancs, c’est un chaos obscur de mauvais rock and roll , comme on dit un mauvais vin, et de vitupérations hystériques d’extrême droite. En plein ouragan.  Faut croire que ça les excite. Juste à côté sur la bande FM, WNYU, les petits bourgeois nihilistes  mènent leur programme super hard-core, « crucial chaos ». Jello Biafra du groupe  Deads Kennedys vocifère sur « l’harmonie du mass murder ». Bon . mais quand on entend Paul Ryan , candidat à la vice pésidence, dire, la veille des élections, qu’Obama menace les valeurs judeo-chrétienne, tout est permis.
Tout a commencé ce lundi là, 29 Octobre.. D’abord des petits souffles maléfiques au milieu d’un calme inquiétant coupé de temps à autres par une violent explosion de vent, BOUM, puis plus rien. C’est la que j’ai pensé,  « ca va chier ».
A la nuit, les diables se sont déchainés. Je fais écouter à ma copine en Argentine,  sur skype, lui montre les rideaux lourds que j’ai mis à mes fenêtres qui tremblent , pour ne pas qu’elles m’explosent à la figure, quand soudain la lumière se met à clignoter.. Sans doute la coupure préventive, prévue, quelquepart, pour ne pas frire les installations. Une minute encore de faux espoir, ca n’est pas encore pour moi, et CLAC, tout est fini. La longue nuit a commencé.
Bon, je me dis, on va dormir, pas grand chose d’autre a faire, on verra bien demain.
On a vu.
Avant de commencer, tant qu’à écrire ce journal, seul ici dans a nuit, j’en pondère la résonance : si les mots n’existent qu’en résonance, il faut bien que ça résonne dans quelque chose. Les cordes de mon cerveau, ou bien celle des autres? Et quels autres ?  Alors, est-ce qu’on ajuste et on taille  semi-consciemment en fonction de ces caisses de résonance là ? N’est-ce pas ce que les surréalistes essayaient frénétiquement de  court-circuiter ? Rêve. C’est comme ça aussi, dans le noir.
Bon. Never mind. Allons y.
Il a fallu s’organiser vite fait, l’eau, les bougies, les lampes, les piles, les priorités en tous genre. Comme d’aller chercher de l’eau dans la nuit, au fleuve Hudson, marée haute à dix heure du soir, le vent, la pluie, route barrée par des flics. L’eau était montée sur le périph, le West Side Hiway. Puis le lendemain matin j’y retourne, a dix heure, mais je trouve une eau si immonde que même pour les chiottes, je ne  pouvais pas.
Curieux comme on s’adapte. Je suis sorti dans le froid sans toilette ni petit déjeuner. On s’accorde au froid,  aux faibles lumières, aux connections in/out coupées d’un coup. On s’accorde sur autre chose. Ça ne manque pas. Ca remue des choses ces affaires là. Ca fait remonter à la surface.
On réapprend à vivre ? sans le vaste appareillage  vital ( ?) auquel nous sommes connecté en permanence. Bien fragile.
On prend en main sa barcasse, sa carcasse, les mettant en ordre d’urgence, rangements, rationnements, expéditions extérieures. On y passe beaucoup de temps. Il faut être soigneux, faire très attention. Par exemple , il y a beaucoup d’incendies, par les bougies mal protégées. Mais on devient vite assez bon.
Les gens n’étaient pas vraiment préparés . Il y avait eu trop de fausses alertes, les alertes oranges du Homeland Security, l’ouragan Irene en 20011 et un autre avant, sans effets. Alors, « On a décidé de chevaucher la tempête ». ride the storm, selon l’expression consacrée dans ces cas-là. Une histoire de cow -boy. Ou ce marin.
On a assez vite compris. Les eaux qui montent de trois, puis de quatre mètres, audelà de toutes les espérances. On n’a pas besoin de réfléchir.
La ville de New York serait-elle un château de sable que des enfants insouciants regarde la mer envahir ?
Le gouverneur et la mairie de New York avait en main des études tres sérieuses sur ces questions hydrauliques. Les conclusions étaient pourtant très claires. Parfois on  pense que  ces gens ont des dollars collés sur les yeux.  Normal en ces temps du roi Fric : Le 1% au  sommet vit aujourd’hui dans un monde parallèle, sans parallèle dans l’histoire de l’Amérique, selon le livre « Winner Takes All » : le gagnant rafle la mise. Il peut se payer les gouvernements, et un lavage en grand, en douceur et en couleur,  du  cerveau électoral, devenu aveugle à la réalité d’une misère et d’une dégradation de plus en plus évidente derrière le slogan « gavez vous et oubliez », dans les coulisses du « grand spectacle ».

Mais  ici, ce soir à la chandelle, quand les tâches indispensables sont finies, j’essaie de glaner quelque chose de cohérent dans le brouhaha infernal des stations qui hurlent et se mélangent. Je sais que le bas de Manhattan est sous l’eau, comme les deux rives de l’East Rive, ici et à Brooklyn. . Les générateurs de secours sont au sous-sol, comme à Fukujima. Ils sont inondés. Trop lourds pour les installer plus haut, nous dit-on. Bon , passons. Donc tout s’arrête.  Dans trois grands hopitaux, les médecins et les infirmières descendent les malades critiques sur des civières,   à la main, avec la pompe à oxygène manuelle, les IV, dix étages dans le noir. Dans le Village-Est, Alphabet City (avenue A,B,C,D) , c’est Venise. les HLM style soviétiques sur l’East River deviennent des zones de guerre. La peur règne.  Les flics, ici,  à part quelques « cruisers » fonçant  en mitraillant leur éclairs,  on ne les pas vu avant mercredi, trois jours plus tard. Et encore c’était pour diriger la circulation.  En cas de vraies catastrophes, on ne croit plus trop au  Père Noel.
A Long Island, comme toute la côte, la ville de Long Beach, la plage des surfers, est dévastée. Les habitants n’ont plus d’eau, plus électricité , de téléphone, parfois plus de maison,  plus rien . ils ont attendu trois jours avant de voir un camion de la croix rouge, à trois kilomètres de là où ils sont.  Et leurs voitures sont dans la mer ou dans le sable. Par contre des escouades de gardes nationaux armés jusqu'aux dents sont là, comme des robots. Ils ne répondent pas aux questions, ils ne savent rien., ils nous regardent, disent les habitants, « comme si nous étions des suspects, et non pas des victimes».
Ici, dans le noir, je réfléchi. Je gamberge.  Ça remue. Une bonne manière de passer le temps. Ca empêche de sentir le froid, et  le reste. Par contre on se dit qu’une semaine,  ça va être long.   Si ça dure plus, on commence sûrement  à déjanter.  Quelques semaines de plus, ça ne serait pas beau à voir : alors c’est le « shelter », le camps de  réfugiés, avec toutes  ses indignités. « Là-bas », au bout de la nuit, c’est déjà commencé. Comme pour katrina. « Ah ces pauvres Louisiannnais ». On commisérait de temps en temps en regardant les images, bien loin d’ici, nous au chaud….Et puis plus loin encore, le grands tsunamis d’Asie du Sud Est et puis du Japon, « des gens très bien », comme vous et moi. Fukujiama. Encore plus loin, plus bas, si on veut,   Haiti Port au Prince,  l’Afrique, les autres…   Et encore, ces films et ces livres post-apocalyptiques qui se multiplient, variant les plaisirs avec un art savant. Pourquoi ? Un mauvais rêve ?  William Burroughs disaient qu’Armageddon , c’etait vos pire cauchemars réalisés.

Apocalypse ?  Tellement de fausses alertes encore, au cours des âges. On n’y croit plus.  Alors pourquoi on n’y croit de plus en plus, en regardant le grand bal financier planétaire fonçant vers l’abîme, entraînant tout avec lui ? il fait rage de ses derniers fourneaux, de ses dernières forges, qu’il nourrit  des derniers restes encore à prendre, extirpés de la terre éventrée. « Blade runner economy ». Tout ça  pour la grande  machine à laquelle nous sommes connectés de mille manières. La machine qui nous pompent en prétendant  nous assurer la vie. La machine folle et aveugle qui déjà crache des flammes et prend eau de toutes part. Les réactions en chaine se propagent dans les grands systèmes homogènes où rien ne les arrête. Meltdown: énergétique, informatique,  logisitique, épidémique, toxique. On a le choix des fins du monde. Même plus besoin des militaires et de leurs Folamours..
Est-ce que ca va venir ?
Après nous le déluge. Hé Hé ! Il est là maintenant, à ma porte.

Alors ici, je m’adapte. Je crois que je peux m’adapter à beaucoup de situations, même critiques. Peut-être ma petite enfance de guerre (la mondiale) remonte à la rescousse.(La pratique avancée des arts martiaux aident aussi, mais ça, c’est une autre histoire) . Et si je me rapatriais finalement sur ma petite maison de Bretagne perdue au fond des bois ? Ca me trotte dans la tête. La solitude, la contemplation. Sûrement. Mais serait–elle pire que celle-ci. En même temps, la Bretagne a connu elle aussi  de beaux ouragans.  A quels saints se vouer alors ? Souvent je me dis aussi qu’à ce stade de ma vie, autant être carrément au coeur  du problème, le vivre au moins, plutôt que de chercher  des hâvres sans doute illusoires.
La solitude , j’en refais l’apprentissage ici, maintenant, débranché (une bénédiction masquée?) de toutes les tubes et les réseaux auxquels nous sommes accro, seul devant moi-même. On perd vite l’habitude. On est désemparé. D’abord on réapprend à se souvenir où on met les choses, on devient parcimonieux, frugal.  On réfléchit à toutes ces fausses facilités.  Ils savent ce qu’ils font, les “pushers”, les “Maîtres de l’Univers”, expression acceptée même par le New York Times. Ils usinent avec une science diabolique les dépendances en tous genre du bétail humain, en douceur, sans que ca se sente. Il faut détruire toute velléité d’autonomie, du corps ou de la tête. Cette autonomie qui serait pourtant notre seul espoir, qu’elle soit alimentaire, énergétique, hydraulique, intellectuelle, voir spirituelle (ah cette distinction entre mind et spirit,  qui n’existe pas en français, qui a forcé Pascal aux “raisons du coeur”, mais je digresse).  Diversité vitale et protectrice, au lieu de l’homogénéité  vulnérable et stérile. Evidemment c’est beaucoup moins rentable,  cette  rentabilité sacrée par le  le dogme “global”.
Seigneur, pardonnez leurs car ils ne savent ce qu’ils font. Après tout, ils sont  aveugles: sur le dollar, au centre de la pyramide, un seul oeil voit, l’oeil de Dieu. Il voit tout , entend tout, sait tout, comme on apprenait au catéchisme. “Croissez et multipliez vous”. Ca rapporte. Les horreurs du passé, du temps présent, rendues au centuples, comme au paradis.
Bon , on se calme. Ou au moins on essaye.
Alors , ici, on en revient toujours à cette solitude toute nue, dans la nuit déserte et froide, dans la petite bulle faiblement éclairée, sans appel. La solitude qui heuresement danse à la flamme de la bougie, un semblant de hasard, un semblant de vie. Puis la réalité vous saute a la figure. Les chiottes! Oui , je vais aller a l’Hudson à marée haute ce soir, dans la tempête, avant que les panses de la ville ne dégorgent dans la rivière, car on est plutot massif nous autres, quand on s’y met. Comme je l’ai dit, je n’y suis pas parvenu. Pauvre Océan. Combien pourra-t-il absorber encore nos déjections en tous genre sans mourir?
Dans ma misère très relative, je pense encore à ces millions,  inondés, incendiés,, déplacés, plus ou moins oubliés parcequ’ils ne font pas le poids. Pas si loin d’ici. Et pourtant aussi loin que l’Asie ou l’Afrique, dans la nuit paralysée.
Mercredi. Deux jours déja. Tout reste mort. Mais tout seul dans sa tour d’ivoire, Wall Street ouvre! Le nerf de la guerre.  Leur guerre. Les guerres, les désastres, faut pas croire, y a du fric à se faire, comme disait le jeune trader dans le beau documentaire “the Corporation”.  Ou bien , selon la mémorable formule du banquier Morgan: “quand le sang coule dans les rues, c’est le moment d’acheter”..
Nous, on  pourra toujours bouffer du dollar , boire du dollar, se laver, se torcher avec des dollars.
Juste avant l’ouragan, la une des journaux portait sur la puissance des forces du mal, “EVIL”: la malheureuse mère qui retrouve ses enfants, sa famille idyllique, massacrés dans la baignoire par la bonne. Ils ont bon dos les “forces du mal”.  Comme au Moyen-Age, ça évite de voir. Nous en sommes là,  simplement démultiplié au cyber-néon.
Pourtant, aujourd’hui, la une du New York Post, qui arrive à sortir quand même, hurle: “DESPAIR”. Désespoir. Direct. On ne peut plus blâmer le diable. Le bon vieux manichéisme américain va en prendre un coup. Pourvu que ca ne tourne pas au pire: ce peuple “exceptionnel”, surarmé, voyant lui échappé son droit sacré de se gaver…. Bon j’arrête là le fil de ma pensée.
Ici ce soir, j’en ai une petite dose, de désespoir: les deux tiers de mon temps se passent à la maintenance de base. Corvées d’eau, de bouffe, d’énergie, piles et bougies, tenir  à peu près propre et en ordre relatif. Le froid. La nuit encore. La solitude qui paraît soudain irrémédiable. Voir  quand même si des gens  âgés, invalides, dans l’immeuble ou dans ma rue, n’ont pas besoin de secours. Les rues mortes, inquiétantes. On préfère ne pas imaginer ce que ce serait dans une “vraie” (?) catastrophe, une dont on ne voit pas le bout. Des gens comme nous. Des gens si bien. Un autre monde.
Ces derniers temps la télé est saturée de feuilletons et de films sur les Zombies, les morts-vivants, le plus sanguinolant possible. Grand Guignol. D’où vient-elle cette obsession? On imagine:  des petits groupes de “survivalistes” armés jusqu’au dents, mitraillant les hordes de “zombies” qui cherchent désespérément à boire et à manger….

Ils sont long ces jours. Et la nuit qui tombe, tôt, trop tôt.. Oui on se sent vraiment seul. Plus de Com, d’aucun genre. On n’a plus même cette illusion.  Plus de dis-traction. Plus de traction du tout. Faut tracter par soi-même. Plus de tout cuit.  Dans mon trou de nuit, il faut puiser de l’intérieur. En creusant un peu, on trouve vite un tas de choses. C’est un des avantages. On redécouvre… sa propre  humanité? La vraie?
Il faut faire avec ce qu’on a , là où on est. le vrai principe qui pourrait nous sauver si on l’appliquait, même un peu.
La catastrophe  éclaire d’ailleurs tout d’un coup la grande fracture idéologique du temps: coopération, solidarité, partage,  ou bien  compétition, accumulation féroce, “ôtes toi de mon chemin”, “eux ou moi”, “tu boufferas quand tu seras compétitif “(on l’a vu un temps cette affiche représentant un gosse africain, à la gare Montparnasse). C’était aussi, un peu, l’enjeu de cette élection.  Le capitalisme sauvage  et son robot de service d’un côté, solidarité collective de l’autre.   La démonisation courante d’Obama le “socialiste”, ca fait un peu rire puisqu’après tout, il est comme les autres, au service des “masters of the universe”. Il n’y peut pas grand chose. Mais bon, le peu de différence, on préfèrerait quand même. Cette fracture on la voit ici à New York ou dans le New Jersey. La maire Bloomberg, et le gouverneur Christie, républicain pur et dur, reçoivent soudain la foi comme Saint Paul à Damas.. Oui, on a besoin du gouvernement. Non, la maximisation du profit à court terme n’est pas le moteur universel. Ici à New York, dix milliards de dollars d’infrastructures collectives,  vannes géantes ou digues (les plans existent),  c’est cher. Mais  les cinquante milliards de la catastrophe, et bien plus  dans deux ans, trois ans,  quand ça recommence, c’est nettement plus cher.  Surtout si on sait où vont ces dix milliards soi-disant économisés, qu’on se garde bien de réinvestir en équipement. Mais qui veut attendre les calendes grecques pour palper, alors qu’il y a des “subprimes” et autres magouilles tellement plus juteuses  sous la main?
On peut aussi aller plus loin: les vannes en question protégeraient Manhattan, Wall Street. Au prix du mètre carré, c’est rentable. Par contre, “là-bas”, à Brooklyn, Staten Island, Long Island ou Queens,  la populace recevrait entre un et deux mètres d’eau en plus.  Triage. Il faut bien choisir.  Mais une forteresse, comme ça, au beau milieu de no-man’s land dévastés, de quel genre de monde s’agit-il?

 Pluôt tectonique en tous cas, cette conversion du maire et du gouverneur en favauer du “socialiste” Obama, quand on pense au principe qui règne sur la planète depuis l’ami Reagan , ça fait maintenant plus de trente ans. Amassez et enrichissez vous. Il en restera toujours quelque chose pour les autres. Et puis il ya les dames de charité.
Çombien de temps va durer ce réveil du moment? On ressasse toujours qu’il faudra une  catastrophe pour que ça change.  Apparemment il faudrait que ce soit global. Sinon , dans un mois, dans deux, on aura oublié, jusqu’à la prochaine.
Mais parlons en de la solidarité, ici, maintenant. Pas terrible. Les gens qui sont restés dans le noir. Frileux, apeurés, plutot terrés dans leurs trous. Certainement il y a des volontaires, des “héros”. Mais c’est loin d’être la règle. Instructif de monter audelà de la trentième rue, “midtown”, venant de mon “no man’s land” downtown, pour essayer de trouver un signal pour mon portable. Là-haut, c’est comme si de rien n’était, foules  draînant les boutiques de luxe, avenues illuminées, affairées. Et en bas, la ville noire, oubliée. je ne parle même pas des immensités anonymes, dévastées, là-bas dans la nuit.  Ca c’est à la télé,  avant le dîner, ça donne un petit frisson, quand bien au chaud avec sa petite famille. Ca n’arrive qu’aux autres. Toujours “les autres”.
Solidarité? Est-il question pour ceux de l’intérieur d’acceuillir des innombrables familles de la côte qui n’ont plus rien que la misère et le froid?  On donnerait plus vite un dollar ou une boìte de conserve pour leurs camps de réfugiés. Des gens comme vous et moi.
 Ici, dans ma nuit, les variations Goldberg sur ma petite radio à piles, ca fait du bien. Je lis quelques pages de mon livre du moment, “les Possédés” de Dostoievsky. Pas exactement réconfortant, mais  bon , c’est aussi le moment ou jamais d’aller dans les grandes failles de la psyché humaine, avec  un guide aussi prodigieux que ce vieux fou de génie. Et puis encore là, ca fait oublier le froid, la solitude, tout….
A la radio encore: quatre mètre de montée des eaux.  On se prépare toujours pour la dernière guerre, pas la prochaine. C’est pourquoi on n’a pas coupé préventivement les centrales. Elles ont explosé.
Troisième jour.  Assurer les premières nécessités. Ca devient plus difficile. Il faut marcher des kilomètres pour trouver . J’ai su plus tard  par la bande, car les managers refusaient de me répondre, que les “bonnes” épiceries avaient préféré tout jeter nuitemment aux ordures plutôt que de donner.  Pour ne pas faire baisser les prix peut-être, à la sortie? Les salauds. Je trouve quand même des cageots de figues laissés dehors par les épiceries coréennes dont pourtant on disait tant de mal. Et puisque j’ai encore du gaz, la seule chose qui reste, et du sucre, je fais des confitures! Why not!
Aujourd’hui j’ai découvert un petit café du commerce au coin de la rue: la station de pompier avait mis  dehors une prise électrique pour  que les gens puissent recharger leurs portables, au cas où ça remarche. Début peu prometteur: comme je m’approche un peu vite, un gros qui a l’air en charge me rembarre, “attends ton tour mec!”. Je le rassure sur mes intentions et on devient les meilleurs copains du monde.  On parle. J’impressionne avec mes lointaines histoires d’enfance de guerre.  Les pompiers se prennent au jeu, amènent le café, les petits gateaux, les fruits. Byzance! Je demande où est la musique. Ca va venir. Oui. Bon..Les gens racontent leurs vies, leurs périgrinations: “mes parents m’ont amené ici de Pologne, en cinquante, une filière pour les familles juives”… ou bien, un italien: “J’ai habité longtamps en Suisse”. Ah, oui, ils sont bien organisés là-bas.  “Oui, mais je n’aimais pas, trop coincés, trop rigides.. alors je suis parti en Angleterre”.  Je demande en plaisantant à une femme portant un blouson “commandos de marines” si  elle va nous porter secours. Elle répond du tac au tac: “we are trained to kill, not to heal”. On est entraînés pour tuer, pas pour soigner. Humour noir. On parle en vrac des horreurs du business, de la finance- “c’est pas sur eux qu’il faudra compter”.  Et ça glisse naturellement vers la profitabilité des désastres, les génocides, les empires colonniaux, et plus loin encore, les folies sanguinaires nées d’idéaux, Staline, Hitler, Pol Pot, Mao…”Harmony of Mass Murders”. Ca remue des choses, les catastrophes.
Et puis on en revient au moyen de se chauffer, de trouver de l’eau.
Ca ne s’arrange pas. Je me fais une tambouille invraissemblable vaille que vaille. Je n’ai déja plus la pêche du début. Mais il faut bien que j’utilise ce qui me reste . On ne sait pas ce qui peut se passer.
Après, je me retire  dans  mon petit cercle de lumière, près du lit, car les bougies arrivent à leur fin. J’écris. Sans blaguer, ça me tiend chaud. Et je met mon casque pour balayer un peu les ondes frénétiques. Rock and Roll  sirupeux ou matraqueur, plutôt de mauvais aloi. Je découvre en passant la station FabOfour, sponsorisée en apparence par Mac Cartney et Ringo Starr (ils ont pas assez de fric ceux-là?). C’est gentil mais ce soir, ça ne le fait pas. Retour à la station hard-core “chaos crucial”. Allons bon , voilà qu’ils passent du blues.   Mais après tout c’est vrai, qu’y-at-il de plus hard-core que le blues?  “went down to see my baby…good god she was lying there dead..so cold, so white…so I slowed down to the barroom”.. réconfortant!  Ben oui, comme le blues.  Je cherche ailleurs. En manipulant délicatement la grossière roulette de balayage, je parviens à isoler une voix qui paraît intéressante: un historien plutôt radical donne une conférence devant des étudiants, un bon public.  Des rires aprobateurs acceuillent ses sarcasmes sur le glorieux progrès industriel, “bâti sur le l’acier, le sang et les tripes  des sans voix”,  où bien l’évocation de ceux qui osent contester, et  qui, dans la propagande du cru, ne sont que  “des barrières sur la route du progrès humain” .  Le “danger imminent”, qui, de Edgar J Hoover à Georges Bush and co, menace en permanence la sructure saine de la société… la diatribe paraît durer des heures. Dommage qu’en Amérique, ce radicalisme intellectuel  soit traditionellement (!) une sorte de ghetto universitaire, au pire un gagne pain comme un autre,  sans grand impact. Bon , il ya eu les conquêtes syndicales. C’est bien loin tout ca.. je change encore. Mais je ne sais pourquoi, le boom boom Rock n’ Roll ne fait que déclencher une vague de tristesse qui m’envahit, comme dehors la montée des eaux. On entrevoit en soi la possibilité du point de rupture, s’il n’y avait pas cette inertie qu’on peut si on veut appeler sagesse. Une manière comme une autre de voir les choses.
Quatrième jour.  Toujours rien. On nous promet l’electricité pour demain.  J’ai réussi à trouver assez d’eau pour me faire une bassine d’eau chaude que je me verse avec délice sur la tête. A part ça, la journée n’est qu’une répetition des précédentes. Je me réfugie toujours plus dans ce journal, et dans ma petite radio, car il commence a faire très froid et je crains l’arrivée de la nuit. Oui, c’est vrai , j’ai un casque sur la tête et une lampe sur le front. Ici je suis un peu aveugle et sourd. J’ai besoin de ces prothèses, car je vois bien à quel point c’est ma tête qui me mène. “il est nécéssaire de voyager, il n’est pas nécéssaire de vivre” , disait la “Rime de l’Ancien Marin”.
Sur le poste, alors, je reviens quand même  sur la station“FabOfour”. Ca passe de “Come together, right now, over me” au “I want to be sedated” (anésthésiez moi) des Ramones, puis les Kinks.  Ce soir j’aime bien, ça m’amuse.  Mon Dieu , ça fait quand même revenir des choses, bien laminées par la Télé ou le Net.  NETV.  Du VENT. La radio, elle permet de rêver, elle nous laisse de l’espace, elle ne nous immobilise pas dans un rêve préfabriqué. J’avais oublié. Comme tout le monde.
Tant que je peux rêver, je resterai plus ou moins en vol. c’est le plus important. Ces moments , ici, ils sont ce qu’ils sont, pardelà les  ténèbres aux bout de ma lampe. Ils ont le précieux mérite d’exister. De vraiment exister.   Ces choses-là sont fragiles, comme les fleurs , les insectes, les oiseaux, les poissons de corail, et même les tigres ou les éléphants…
En tous cas , n’oubliez pas les priorités:
De l’eau, de l’eau, de l’eau, une lampe de mineur , une radio,  à piles, solaires. magnétiques ou à manivelle, au choix; des bougies, et puis du riz, des céréales, des fruits secs et des “nuts”. Pour le reste, à chacun selon ses besoins!