SANDY
Journal d’une catastrophe annoncée.
Six Novembre, 23 heure trente. Barrak Obama
nous fait savoir dans un tweet, qu’il signe BO, qu’il pense gagner.
Incontestablement, on respire mieux.
Encore groggy de batailles électorales
sauvages et de déluges, l’Amérique a choisi. La vision fracturée de l’Amérique,
présente et à venir, demeure.
Tempêtes à l’horizon.
Dimanche 11 novembre. La une de la section
Business du New York Times trompette : « MAD MAX ECONOMY,
L’économie des désastres », sur fond de Planète Terre explosant de toutes
part.
A l’ordre du jour : « Le Précipice
Fiscal », droit devant.
L’autre ouragan, la Frankenstorm, c’était
hier. Il y a des siècles. Un autre monde, un mauvais rêve. Si réel pourtant. Le lendemain des élections, tempête de neige, beaucoup trop tôt
dans la saison, pour ces malheureux, là-bas, qui n’ont plus rien.
Déjà loin des phares médiatiques, de la
mémoire à court terme (comme le profit du même nom), beaucoup d’entre eux resteront dans une misère ou une autre,
pour longtemps encore. Oui, ils sont loin. Loin de quoi au juste ?
C’était ici même, Hier encore. En voici l’histoire :
Samedi soir 4 Novembre, bien au chaud, à la
lumière, après un bon bain,
curieux comme j’oublie tous ses malheurs, et surtout ceux des autres qui sont
encore en plein dedans. Mais eux, c’est des petits, perdus dans la nuit froide de nos consciences, la nuit, là-bas, les immensités de Long Island ou du New Jersey.
Perdus aussi dans la conscience des autorités: « patience », on leur répète. Pas grand chose d’autre
qu’ils peuvent faire, sinon réfléchir à la cause, mais ça c’est improbable. Le
maire Bloomberg vient de déclarer que même en ville, les déplacés, les malheureux des HLM (Projects) sur
la East River, on n’avait nulle part où les mettre. Que les meilleurs
gagnent !
Hier soir j’écoutais encore ma petite radio
salvatrice à piles, comme tout au long des nuits froides et noires de cette
semaine. Sur les ondes longues (AM)- la radio des white trash, les petits
blancs, c’est un chaos obscur de mauvais rock and roll , comme on dit un
mauvais vin, et de vitupérations hystériques d’extrême droite. En plein
ouragan. Faut croire que ça les
excite. Juste à côté sur la bande FM, WNYU, les petits bourgeois nihilistes mènent leur programme super hard-core,
« crucial chaos ». Jello Biafra du groupe Deads Kennedys vocifère sur « l’harmonie du mass
murder ». Bon . mais quand on entend Paul Ryan ,
candidat à la vice pésidence, dire, la veille des élections, qu’Obama
menace les valeurs judeo-chrétienne, tout est permis.
Tout a commencé ce lundi là, 29 Octobre..
D’abord des petits souffles maléfiques au milieu d’un calme inquiétant coupé de
temps à autres par une violent explosion de vent, BOUM, puis plus rien. C’est
la que j’ai pensé, « ca va
chier ».
A la nuit, les diables se sont déchainés. Je
fais écouter à ma copine en Argentine,
sur skype, lui montre les rideaux lourds que j’ai mis à mes fenêtres qui
tremblent , pour ne pas qu’elles m’explosent à la figure, quand soudain la
lumière se met à clignoter.. Sans doute la coupure préventive, prévue,
quelquepart, pour ne pas frire les installations. Une minute encore de faux
espoir, ca n’est pas encore pour moi, et CLAC, tout est fini. La longue nuit a
commencé.
Bon, je me dis, on va dormir, pas grand chose
d’autre a faire, on verra bien demain.
On a vu.
Avant de commencer, tant qu’à écrire ce
journal, seul ici dans a nuit, j’en pondère la résonance : si les mots
n’existent qu’en résonance, il faut bien que ça résonne dans quelque chose. Les
cordes de mon cerveau, ou bien celle des autres? Et quels autres ? Alors, est-ce qu’on ajuste et on
taille semi-consciemment en
fonction de ces caisses de résonance là ? N’est-ce pas ce que les
surréalistes essayaient frénétiquement de
court-circuiter ? Rêve. C’est comme ça aussi, dans le noir.
Bon. Never mind. Allons y.
Il a fallu s’organiser vite fait, l’eau, les
bougies, les lampes, les piles, les priorités en tous genre. Comme d’aller
chercher de l’eau dans la nuit, au fleuve Hudson, marée haute à dix heure du
soir, le vent, la pluie, route barrée par des flics. L’eau était montée sur le
périph, le West Side Hiway. Puis le lendemain matin j’y retourne, a dix heure,
mais je trouve une eau si immonde que même pour les chiottes, je ne pouvais pas.
Curieux comme on s’adapte. Je suis sorti dans
le froid sans toilette ni petit déjeuner. On s’accorde au froid, aux faibles lumières, aux connections
in/out coupées d’un coup. On s’accorde sur autre chose. Ça ne manque pas. Ca
remue des choses ces affaires là. Ca fait remonter à la surface.
On réapprend à vivre ? sans le vaste
appareillage vital ( ?)
auquel nous sommes connecté en permanence. Bien fragile.
On prend en main sa barcasse, sa carcasse, les
mettant en ordre d’urgence, rangements, rationnements, expéditions extérieures.
On y passe beaucoup de temps. Il faut être soigneux, faire très attention. Par
exemple , il y a beaucoup d’incendies, par les bougies mal protégées. Mais on
devient vite assez bon.
Les gens n’étaient pas vraiment
préparés . Il y avait eu trop de fausses alertes, les alertes oranges du
Homeland Security, l’ouragan Irene en 20011 et un autre avant, sans effets.
Alors, « On a décidé de chevaucher la tempête ». ride the storm,
selon l’expression consacrée dans ces cas-là. Une histoire de cow -boy. Ou ce marin.
On a assez vite compris. Les eaux qui montent
de trois, puis de quatre mètres, audelà de toutes les espérances. On n’a pas
besoin de réfléchir.
La ville de New York serait-elle un château de
sable que des enfants insouciants regarde la mer envahir ?
Le gouverneur et la mairie de New York avait
en main des études tres sérieuses sur ces questions hydrauliques. Les
conclusions étaient pourtant très claires. Parfois on pense que ces
gens ont des dollars collés sur les yeux.
Normal en ces temps du roi Fric : Le 1% au sommet vit aujourd’hui dans un monde
parallèle, sans parallèle dans l’histoire de l’Amérique, selon le livre
« Winner Takes All » : le gagnant rafle la mise. Il peut se
payer les gouvernements, et un lavage en grand, en douceur et en couleur, du cerveau électoral, devenu aveugle à la réalité d’une misère
et d’une dégradation de plus en plus évidente derrière le slogan « gavez
vous et oubliez », dans les coulisses du « grand spectacle ».
Mais
ici, ce soir à la chandelle, quand les tâches indispensables sont
finies, j’essaie de glaner quelque chose de cohérent dans le brouhaha infernal
des stations qui hurlent et se mélangent. Je sais que le bas de Manhattan est
sous l’eau, comme les deux rives de l’East Rive, ici et à Brooklyn. . Les
générateurs de secours sont au sous-sol, comme à Fukujima. Ils sont inondés.
Trop lourds pour les installer plus haut, nous dit-on. Bon , passons. Donc tout
s’arrête. Dans trois grands
hopitaux, les médecins et les infirmières descendent les malades critiques sur
des civières, à la main,
avec la pompe à oxygène manuelle, les IV, dix étages dans le noir. Dans le
Village-Est, Alphabet City (avenue A,B,C,D) , c’est Venise. les HLM style
soviétiques sur l’East River deviennent des zones de guerre. La peur
règne. Les flics, ici, à part quelques « cruisers »
fonçant en mitraillant leur
éclairs, on ne les pas vu avant
mercredi, trois jours plus tard. Et encore c’était pour diriger la
circulation. En cas de vraies
catastrophes, on ne croit plus trop au
Père Noel.
A Long Island, comme toute la côte, la ville
de Long Beach, la plage des surfers, est dévastée. Les habitants n’ont plus
d’eau, plus électricité , de téléphone, parfois plus de maison, plus rien . ils ont attendu trois jours
avant de voir un camion de la croix rouge, à trois kilomètres de là où ils
sont. Et leurs voitures sont dans
la mer ou dans le sable. Par contre des escouades de gardes nationaux armés
jusqu'aux dents sont là, comme des robots. Ils ne répondent pas aux questions,
ils ne savent rien., ils nous regardent, disent les habitants, « comme si
nous étions des suspects, et non pas des victimes».
Ici, dans le noir, je réfléchi. Je
gamberge. Ça remue. Une bonne
manière de passer le temps. Ca empêche de sentir le froid, et le reste. Par contre on se dit qu’une
semaine, ça va être long. Si ça dure plus, on commence
sûrement à déjanter. Quelques semaines de plus, ça ne serait
pas beau à voir : alors c’est le « shelter », le camps de réfugiés, avec toutes ses indignités. « Là-bas »,
au bout de la nuit, c’est déjà commencé. Comme pour katrina. « Ah ces
pauvres Louisiannnais ». On commisérait de temps en temps en regardant les
images, bien loin d’ici, nous au chaud….Et puis plus loin encore, le grands
tsunamis d’Asie du Sud Est et puis du Japon, « des gens très bien »,
comme vous et moi. Fukujiama. Encore plus loin, plus bas, si on veut, Haiti Port au Prince, l’Afrique, les autres… Et encore, ces films et ces
livres post-apocalyptiques qui se multiplient, variant les plaisirs avec un art
savant. Pourquoi ? Un mauvais rêve ? William Burroughs disaient qu’Armageddon , c’etait vos pire
cauchemars réalisés.
Apocalypse ? Tellement de fausses alertes encore, au cours des âges. On
n’y croit plus. Alors pourquoi on
n’y croit de plus en plus, en regardant le grand bal financier planétaire
fonçant vers l’abîme, entraînant tout avec lui ? il fait rage de ses
derniers fourneaux, de ses dernières forges, qu’il nourrit des derniers restes encore à prendre,
extirpés de la terre éventrée. « Blade runner economy ». Tout ça pour la grande machine à laquelle nous sommes
connectés de mille manières. La machine qui nous pompent en prétendant nous assurer la vie. La machine folle
et aveugle qui déjà crache des flammes et prend eau de toutes part. Les
réactions en chaine se propagent dans les grands systèmes homogènes où rien ne
les arrête. Meltdown: énergétique, informatique, logisitique, épidémique, toxique. On a le choix des fins du
monde. Même plus besoin des militaires et de leurs Folamours..
Est-ce que ca va venir ?
Après nous le déluge. Hé Hé ! Il est là
maintenant, à ma porte.
Alors ici, je m’adapte. Je crois que je peux
m’adapter à beaucoup de situations, même critiques. Peut-être ma petite enfance
de guerre (la mondiale) remonte à la rescousse.(La pratique avancée des arts
martiaux aident aussi, mais ça, c’est une autre histoire) . Et si je me
rapatriais finalement sur ma petite maison de Bretagne perdue au fond des
bois ? Ca me trotte dans la tête. La solitude, la contemplation. Sûrement.
Mais serait–elle pire que celle-ci. En même temps, la Bretagne a connu elle
aussi de beaux ouragans. A quels saints se vouer alors ?
Souvent je me dis aussi qu’à ce
stade de ma vie, autant être carrément au coeur du problème, le vivre au moins, plutôt que de chercher des hâvres sans doute illusoires.
La solitude , j’en
refais l’apprentissage ici, maintenant, débranché (une bénédiction masquée?) de
toutes les tubes et les réseaux auxquels nous sommes accro, seul devant
moi-même. On perd vite l’habitude. On est désemparé. D’abord on réapprend à se
souvenir où on met les choses, on devient parcimonieux, frugal. On réfléchit à toutes ces fausses
facilités. Ils savent ce qu’ils
font, les “pushers”, les “Maîtres de l’Univers”, expression acceptée même par
le New York Times. Ils usinent avec une science diabolique les dépendances en
tous genre du bétail humain, en douceur, sans que ca se sente. Il faut détruire
toute velléité d’autonomie, du corps ou de la tête. Cette autonomie qui serait
pourtant notre seul espoir, qu’elle soit alimentaire, énergétique, hydraulique,
intellectuelle, voir spirituelle (ah cette distinction entre mind et
spirit, qui n’existe pas en
français, qui a forcé Pascal aux “raisons du
coeur”, mais je digresse).
Diversité vitale et protectrice, au lieu de l’homogénéité vulnérable et stérile. Evidemment c’est
beaucoup moins rentable, cette
rentabilité sacrée par le
le dogme “global”.
Seigneur, pardonnez
leurs car ils ne savent ce qu’ils font. Après tout, ils sont aveugles: sur le dollar, au centre de
la pyramide, un seul oeil voit, l’oeil de Dieu. Il voit tout , entend tout,
sait tout, comme on apprenait au catéchisme. “Croissez et multipliez vous”. Ca
rapporte. Les horreurs du passé, du temps présent, rendues au centuples, comme
au paradis.
Bon , on se calme. Ou
au moins on essaye.
Alors , ici, on en
revient toujours à cette solitude toute nue, dans la nuit déserte et froide,
dans la petite bulle faiblement éclairée, sans appel. La solitude qui
heuresement danse à la flamme de la bougie, un semblant de hasard, un semblant
de vie. Puis la réalité vous saute a la figure. Les chiottes! Oui , je vais
aller a l’Hudson à marée haute ce soir, dans la tempête, avant que les panses
de la ville ne dégorgent dans la rivière, car on est plutot massif nous autres,
quand on s’y met. Comme je l’ai dit, je n’y suis pas parvenu. Pauvre Océan.
Combien pourra-t-il absorber encore nos déjections en tous genre sans mourir?
Dans ma misère très
relative, je pense encore à ces millions,
inondés, incendiés,, déplacés, plus ou moins oubliés parcequ’ils ne font
pas le poids. Pas si loin d’ici. Et pourtant aussi loin que l’Asie ou
l’Afrique, dans la nuit paralysée.
Mercredi. Deux jours
déja. Tout reste mort. Mais tout seul dans sa tour d’ivoire, Wall Street ouvre!
Le nerf de la guerre. Leur guerre.
Les guerres, les désastres, faut pas croire, y a du fric à se faire, comme
disait le jeune trader dans le beau documentaire “the Corporation”. Ou bien , selon la mémorable formule du
banquier Morgan: “quand le sang coule dans les rues, c’est le moment
d’acheter”..
Nous, on pourra toujours bouffer du dollar ,
boire du dollar, se laver, se torcher avec des dollars.
Juste avant l’ouragan,
la une des journaux portait sur la puissance des forces du mal, “EVIL”: la
malheureuse mère qui retrouve ses enfants, sa famille idyllique, massacrés dans
la baignoire par la bonne. Ils ont bon dos les “forces du mal”. Comme au Moyen-Age, ça évite de voir.
Nous en sommes là, simplement
démultiplié au cyber-néon.
Pourtant, aujourd’hui,
la une du New York Post, qui arrive à sortir quand même, hurle: “DESPAIR”.
Désespoir. Direct. On ne peut plus blâmer le diable. Le bon vieux manichéisme
américain va en prendre un coup. Pourvu que ca ne tourne pas au pire: ce peuple
“exceptionnel”, surarmé, voyant lui échappé son droit sacré de se gaver…. Bon
j’arrête là le fil de ma pensée.
Ici ce soir, j’en ai
une petite dose, de désespoir: les deux tiers de mon temps se passent à la
maintenance de base. Corvées d’eau, de bouffe, d’énergie, piles et bougies,
tenir à peu près propre et en
ordre relatif. Le froid. La nuit encore. La solitude qui paraît soudain
irrémédiable. Voir quand même si
des gens âgés, invalides, dans
l’immeuble ou dans ma rue, n’ont pas besoin de secours. Les rues mortes,
inquiétantes. On préfère ne pas imaginer ce que ce serait dans une “vraie” (?)
catastrophe, une dont on ne voit pas le bout. Des gens comme nous. Des gens si
bien. Un autre monde.
Ces derniers temps la
télé est saturée de feuilletons et de films sur les Zombies, les morts-vivants,
le plus sanguinolant possible. Grand Guignol. D’où vient-elle cette obsession?
On imagine: des petits groupes de
“survivalistes” armés jusqu’au dents, mitraillant les hordes de “zombies” qui
cherchent désespérément à boire et à manger….
Ils sont long ces
jours. Et la nuit qui tombe, tôt, trop tôt.. Oui on se sent vraiment seul. Plus
de Com, d’aucun genre. On n’a plus même cette illusion. Plus de dis-traction. Plus de traction
du tout. Faut tracter par soi-même. Plus de tout cuit. Dans mon trou de nuit, il faut puiser
de l’intérieur. En creusant un peu, on trouve vite un tas de choses. C’est un
des avantages. On redécouvre… sa propre
humanité? La vraie?
Il faut faire avec ce
qu’on a , là où on est. le vrai principe qui pourrait nous sauver si on
l’appliquait, même un peu.
La catastrophe éclaire d’ailleurs tout d’un coup la
grande fracture idéologique du temps: coopération, solidarité, partage, ou bien compétition, accumulation féroce, “ôtes toi de mon chemin”,
“eux ou moi”, “tu boufferas quand tu seras compétitif “(on l’a vu un temps
cette affiche représentant un gosse africain, à la gare Montparnasse). C’était
aussi, un peu, l’enjeu de cette élection.
Le capitalisme sauvage et
son robot de service d’un côté, solidarité collective de l’autre. La démonisation courante d’Obama
le “socialiste”, ca fait un peu rire puisqu’après tout, il est comme les autres,
au service des “masters of the universe”. Il n’y peut pas grand chose. Mais
bon, le peu de différence, on préfèrerait quand même. Cette fracture on la voit
ici à New York ou dans le New Jersey. La maire Bloomberg, et le gouverneur
Christie, républicain pur et dur, reçoivent soudain la foi comme Saint Paul à
Damas.. Oui, on a besoin du gouvernement. Non, la maximisation du profit à
court terme n’est pas le moteur universel. Ici à New York, dix milliards de
dollars d’infrastructures collectives,
vannes géantes ou digues (les plans existent), c’est cher. Mais
les cinquante milliards de la catastrophe, et bien plus dans deux ans, trois ans, quand ça recommence, c’est nettement
plus cher. Surtout si on sait où
vont ces dix milliards soi-disant économisés,
qu’on se garde bien de réinvestir en équipement. Mais qui veut attendre les
calendes grecques pour palper, alors qu’il y a des “subprimes” et autres magouilles
tellement plus juteuses sous la
main?
On peut aussi aller
plus loin: les vannes en question protégeraient Manhattan, Wall Street. Au prix
du mètre carré, c’est rentable. Par contre, “là-bas”, à Brooklyn, Staten
Island, Long Island ou Queens, la
populace recevrait entre un et deux mètres d’eau en plus. Triage. Il faut bien choisir. Mais une forteresse, comme ça, au beau
milieu de no-man’s land dévastés, de quel genre de monde s’agit-il?
Pluôt tectonique en tous cas, cette
conversion du maire et du gouverneur en favauer du “socialiste” Obama, quand on
pense au principe qui règne sur la planète depuis l’ami Reagan , ça fait
maintenant plus de trente ans. Amassez et enrichissez vous. Il en restera
toujours quelque chose pour les autres. Et puis il ya les dames de charité.
Çombien de temps va
durer ce réveil du moment? On ressasse toujours qu’il faudra une catastrophe pour que ça change. Apparemment il faudrait que ce soit
global. Sinon , dans un mois, dans deux, on aura oublié, jusqu’à la prochaine.
Mais parlons en de la
solidarité, ici, maintenant. Pas terrible. Les gens qui sont restés dans le
noir. Frileux, apeurés, plutot terrés dans leurs trous. Certainement il y a des
volontaires, des “héros”. Mais c’est loin d’être la règle. Instructif de monter
audelà de la trentième rue, “midtown”, venant de mon “no man’s land” downtown,
pour essayer de trouver un signal pour mon portable. Là-haut, c’est comme si de
rien n’était, foules draînant les
boutiques de luxe, avenues illuminées, affairées. Et en bas, la ville noire,
oubliée. je ne parle même pas des immensités anonymes, dévastées, là-bas dans
la nuit. Ca c’est à la télé, avant le dîner, ça donne un petit
frisson, quand bien au chaud avec sa petite famille. Ca n’arrive qu’aux autres.
Toujours “les autres”.
Solidarité? Est-il
question pour ceux de l’intérieur d’acceuillir des innombrables familles de la
côte qui n’ont plus rien que la misère et le froid? On donnerait plus vite un dollar ou une boìte de conserve pour
leurs camps de réfugiés. Des gens comme vous et moi.
Ici, dans ma nuit, les variations
Goldberg sur ma petite radio à piles, ca fait du bien. Je lis quelques pages de
mon livre du moment, “les Possédés” de Dostoievsky. Pas exactement
réconfortant, mais bon , c’est
aussi le moment ou jamais d’aller dans les grandes failles de la psyché
humaine, avec un guide aussi
prodigieux que ce vieux fou de génie. Et puis encore là, ca fait oublier le
froid, la solitude, tout….
A la radio encore:
quatre mètre de montée des eaux.
On se prépare toujours pour la dernière guerre, pas la prochaine. C’est
pourquoi on n’a pas coupé préventivement les centrales. Elles ont explosé.
Troisième jour. Assurer les premières nécessités. Ca
devient plus difficile. Il faut marcher des kilomètres pour trouver . J’ai su
plus tard par la bande, car les
managers refusaient de me répondre, que les “bonnes” épiceries avaient préféré
tout jeter nuitemment aux ordures plutôt que de donner. Pour ne pas faire baisser les prix
peut-être, à la sortie? Les salauds. Je trouve quand même des cageots de figues
laissés dehors par les épiceries coréennes dont pourtant on disait tant de mal.
Et puisque j’ai encore du gaz, la seule chose qui reste, et du sucre, je fais
des confitures! Why not!
Aujourd’hui j’ai
découvert un petit café du commerce au coin de la rue: la station de pompier
avait mis dehors une prise
électrique pour que les gens
puissent recharger leurs portables, au cas où ça remarche. Début peu
prometteur: comme je m’approche un peu vite, un gros qui a l’air en charge me
rembarre, “attends ton tour mec!”. Je le rassure sur mes intentions et on
devient les meilleurs copains du monde.
On parle. J’impressionne avec mes lointaines histoires d’enfance de
guerre. Les pompiers se prennent
au jeu, amènent le café, les petits gateaux, les fruits. Byzance! Je demande où
est la musique. Ca va venir. Oui. Bon..Les gens racontent leurs vies, leurs
périgrinations: “mes parents m’ont amené ici de Pologne, en cinquante, une
filière pour les familles juives”… ou bien, un italien: “J’ai habité longtamps
en Suisse”. Ah, oui, ils sont bien organisés là-bas. “Oui, mais je n’aimais pas, trop coincés, trop rigides..
alors je suis parti en Angleterre”.
Je demande en plaisantant à une femme portant un blouson “commandos de
marines” si elle va nous porter
secours. Elle répond du tac au tac: “we are trained to kill, not to heal”. On
est entraînés pour tuer, pas pour soigner. Humour noir. On parle en vrac des
horreurs du business, de la finance- “c’est pas sur eux qu’il faudra compter”. Et ça glisse naturellement vers la
profitabilité des désastres, les génocides, les empires colonniaux, et plus
loin encore, les folies sanguinaires nées d’idéaux, Staline, Hitler, Pol Pot,
Mao…”Harmony of Mass Murders”. Ca remue des choses, les catastrophes.
Et puis on en revient
au moyen de se chauffer, de trouver de l’eau.
Ca ne s’arrange pas.
Je me fais une tambouille invraissemblable vaille que vaille. Je n’ai déja plus
la pêche du début. Mais il faut bien que j’utilise ce qui me reste . On ne sait
pas ce qui peut se passer.
Après, je me
retire dans mon petit cercle de lumière, près du
lit, car les bougies arrivent à leur fin. J’écris. Sans blaguer, ça me tiend
chaud. Et je met mon casque pour balayer un peu les ondes frénétiques. Rock and
Roll sirupeux ou matraqueur,
plutôt de mauvais aloi. Je découvre en passant la station FabOfour, sponsorisée
en apparence par Mac Cartney et Ringo Starr (ils ont pas assez de fric
ceux-là?). C’est gentil mais ce soir, ça ne le fait pas. Retour à la station
hard-core “chaos crucial”. Allons bon , voilà qu’ils passent du blues. Mais après tout c’est vrai,
qu’y-at-il de plus hard-core que le blues? “went down to see my baby…good god she was lying there
dead..so cold, so white…so I slowed down to the barroom”.. réconfortant! Ben oui, comme le blues. Je cherche ailleurs. En manipulant
délicatement la grossière roulette de balayage, je parviens à isoler une voix
qui paraît intéressante: un historien plutôt radical donne une conférence
devant des étudiants, un bon public.
Des rires aprobateurs acceuillent ses sarcasmes sur le glorieux progrès
industriel, “bâti sur le l’acier, le sang et les tripes des sans voix”, où bien l’évocation de ceux qui osent
contester, et qui, dans la
propagande du cru, ne sont que
“des barrières sur la route du progrès humain” . Le “danger imminent”, qui, de Edgar J
Hoover à Georges Bush and co, menace en permanence la sructure saine de la
société… la diatribe paraît durer des heures. Dommage qu’en Amérique, ce
radicalisme intellectuel soit
traditionellement (!) une sorte de ghetto universitaire, au pire un gagne pain
comme un autre, sans grand impact.
Bon , il ya eu les conquêtes syndicales. C’est bien loin tout ca.. je change
encore. Mais je ne sais pourquoi, le boom boom Rock n’ Roll ne fait que
déclencher une vague de tristesse qui m’envahit, comme dehors la montée des
eaux. On entrevoit en soi la possibilité du point de rupture, s’il n’y avait
pas cette inertie qu’on peut si on veut appeler sagesse. Une manière comme une
autre de voir les choses.
Quatrième jour. Toujours rien. On nous promet
l’electricité pour demain. J’ai
réussi à trouver assez d’eau pour me faire une bassine d’eau chaude que je me
verse avec délice sur la tête. A part ça, la journée n’est qu’une répetition
des précédentes. Je me réfugie toujours plus dans ce journal, et dans ma petite
radio, car il commence a faire très froid et je crains l’arrivée de la nuit. Oui,
c’est vrai , j’ai un casque sur la tête et une lampe sur le front. Ici je suis
un peu aveugle et sourd. J’ai besoin de ces prothèses, car je vois bien à quel
point c’est ma tête qui me mène. “il est nécéssaire de voyager, il n’est pas
nécéssaire de vivre” , disait la “Rime de l’Ancien Marin”.
Sur le poste, alors,
je reviens quand même sur la
station“FabOfour”. Ca passe de “Come together, right now, over me” au “I want
to be sedated” (anésthésiez moi) des Ramones, puis les Kinks. Ce soir j’aime bien, ça m’amuse. Mon Dieu , ça fait quand même revenir
des choses, bien laminées par la Télé ou le Net. NETV. Du VENT.
La radio, elle permet de rêver, elle nous laisse de l’espace, elle ne nous
immobilise pas dans un rêve préfabriqué. J’avais oublié. Comme tout le monde.
Tant que je peux
rêver, je resterai plus ou moins en vol. c’est le plus important. Ces moments ,
ici, ils sont ce qu’ils sont, pardelà les
ténèbres aux bout de ma lampe. Ils ont le précieux mérite d’exister. De
vraiment exister. Ces
choses-là sont fragiles, comme les fleurs , les insectes, les oiseaux, les
poissons de corail, et même les tigres ou les éléphants…
En tous cas ,
n’oubliez pas les priorités:
De l’eau, de l’eau, de
l’eau, une lampe de mineur , une radio,
à piles, solaires. magnétiques ou à manivelle, au choix; des bougies, et
puis du riz, des céréales, des fruits secs et des “nuts”. Pour le reste, à
chacun selon ses besoins!